Dies Academicus 2023 - Docteur Honoris Causa de l'Université de Neuchâtel

Speech by Andréa M Maechler, Deputy General Manager of the BIS, at the Université de Neuchâtel, 4 November 2023. 

BIS speech  | 
4 novembre 2023

Introduction

Avant toute chose, je voudrais remercier les doyens Bhsary, Défago, Fiechter et Petris pour leurs éloges si bienveillants.

C'est pour nous un grand plaisir de nous trouver ici aujourd'hui avec Jacques Bujard, John Doherty et Pierre Tercier, et d'accepter le titre de Docteur Honoris Causa de l'Université de Neuchâtel, cette prestigieuse institution d'enseignement supérieur. Au nom de tous les lauréats, je tiens à remercier le comité de nomination pour ce grand honneur. Nous sommes ici, humbles et fiers de recevoir cette grande distinction, d'autant plus que le titre de Docteur Honoris Causa nous est conféré à l'occasion du Dies Academicus, un jour de célébration et de réflexion. C'est donc un plaisir particulier de pouvoir vous remercier et nous le faisons de tout cœur!

Deux doctorats – construire des ponts

Recevoir ce doctorat honorifique m'a amené à réfléchir non seulement à ma propre carrière, mais aussi à l'importance de construire des ponts entre le monde universitaire et le monde du service public. Je m'explique.

C'est la deuxième fois de ma vie que je reçois un doctorat. Le premier reconnaît mes contributions académiques. Le deuxième récompense ma carrière professionnelle, et notamment mes contributions en tant que décideur politique. Aujourd'hui, je soutiendrai que les deux doctorats – l'un en recherche, l'autre en politique – s'appuient l'un sur l'autre. Ensemble, ils représentent plus que la somme des deux.

Qu'est-ce que je veux dire par là?

La distinction qui m'est remise aujourd'hui signifie que j'ai réalisé un rêve: celui d'utiliser l'acquis de mon premier doctorat, non pas comme une fin en soi, mais comme un tremplin pour construire d'autres ponts, pour apporter de nouvelles pièces au puzzle de la connaissance et de la politique publique et ainsi, pour contribuer à la communauté au sens large.

Les décideurs politiques ont pour rôle de concevoir des politiques qui améliorent la vie de tous les membres de notre communauté. À cet égard, la recherche universitaire joue un rôle de premier plan en tant que pierre angulaire de la compréhension du monde. Mais la recherche en vase clos ne suffit pas. Elle doit aller à la rencontre du monde réel.

En économie, cela signifie tenir compte de la multitude de facteurs qui influencent l'activité économique, tels que le fonctionnement des institutions, le profil des attentes des individus, l'évolution des risques, le comportement des marchés financiers, ou l'impact des nouvelles technologies et de l'innovation.

Pour naviguer dans cette complexité, les décideurs politiques doivent apprendre des universitaires et les universitaires doivent apprendre des décideurs politiques. En effet, la recherche universitaire et la politique économique sont deux faces d'une même pièce. Nous ne pouvons pas élaborer de bonnes politiques sans une recherche de qualité, et une recherche de qualité atteint son plein potentiel lorsqu'elle peut éclairer l'élaboration des politiques. En d'autres termes, nous devons construire des ponts entre ces deux mondes.

Héritage cantonal

Cela m'amène au thème principal d'aujourd'hui : « l'université comme figure du patrimoine cantonal.» Dès sa création, l'Université de Neuchâtel a été au service de ses résidents et de la communauté mondiale du savoir. Les universités d'aujourd'hui ne peuvent pas exister comme des tours d'ivoire, isolées du monde réel. Tout comme la politique économique est étroitement liée à la recherche économique, cette université ne peut pas pleinement contribuer à son héritage cantonal si elle ne sort pas de ses murs. La coopération et la construction de ponts vers la communauté au sens large font partie de l'ADN de cette institution et, j'en suis sûre, de l'ADN de chacun des lauréats d'aujourd'hui.

Laissez-moi développer ce point en utilisant un domaine que je connais bien: celui des banques centrales.

La coopération dans le domaine des banques centrales

La coopération et la création de ponts font partie de l'ADN des banques centrales et des organisations financières internationales, telles que la Banque des Règlements Internationaux à Bâle (mieux connue sous son acronyme BRI) - la banque des banques centrales qui tire parti de sa position unique à l'intersection de la recherche et de la politique pour offrir un dialogue de qualité entre les banques centrales, tout en servant de plaque tournante de l'innovation pour celles-ci.

Les banques centrales sont des décideurs politiques dotés d'un mandat clair. Elles sont chargées de mettre en œuvre la politique monétaire, ce qu'elles font en fixant les taux d'intérêt et, au besoin, en utilisant d'autres instruments pour remplir leur mandat de stabilité des prix. Leurs décisions entraînent des répercussions considérables sur l'économie.

La recherche universitaire joue un rôle de premier plan dans l'élaboration de ces décisions. Pour cela, les banques centrales invitent régulièrement des experts universitaires à participer à leurs conférences et discussions. De même, les chercheurs universitaires recherchent le contact avec celles-ci pour améliorer leur compréhension des rouages de l'économie et du système financier. Ensembles, nous aboutissons à une meilleure compréhension de l'économie et, en fin de compte, à de meilleures décisions politiques.

Cette construction de ponts entre la recherche académique et les politiques économiques est d'autant plus cruciale dans le monde actuel, jonché de défis de plus en plus multidimensionnels et interconnectés – pensez, par exemple, aux risques liés à une inflation obstinément élevée, à l'émergence de nouvelles technologies, au changement climatique ou à la montée des tensions géopolitiques.

Aujourd'hui, plus que jamais, la coopération est nécessaire non seulement au sein d'un domaine d'expertise particulier, mais aussi entre domaines d'expertise.

Permettez-moi de vous donner un exemple : l'innovation numérique.

L'innovation numérique comme exemple de collaboration interdisciplinaire

L'innovation numérique a permis l'émergence d'une nouvelle forme «d'argent», les cryptomonnaies, il y a quelques années. Les cryptomonnaies avaient l'ambition de modifier fondamentalement la structure du système financier existant en contournant la réglementation et les banques centrales, en cherchant effectivement à remplacer ce que nous appelons la monnaie «fiduciaire». Cette monnaie est garantie par une banque centrale, dont le mandat d'assurer la stabilité des prix est inscrit dans la loi.

La situation était potentiellement dangereuse, car les cryptomonnaies ne pouvaient pas tenir leurs promesses. Elles ne pouvaient pas remplacer la monnaie fiduciaire de manière fiable, car il leur manquait un ingrédient essentiel: la confiance. Seule une banque centrale peut fournir un bien public comme la monnaie en tenant compte de l'intérêt général.

Un hypothétique univers cryptographique risque de créer un système monétaire fragmenté, dominé par quelques grands acteurs et rapportant de gros profits à des initiés opérant via des réseaux anonymes. Il s'agit là de défauts structurels inhérents aux cryptomonnaies, qui les rendent inaptes à jouer un rôle constructif dans le système monétaire.

Néanmoins les nouvelles technologies qui nous ont permis de vivre l'expérience de la cryptomonnaie pourraient également offrir de nouvelles opportunités qui méritent d'être explorées. C'est exactement ce qu'ont fait les banques centrales, en collaboration avec des chercheurs et des experts politiques dans de nombreux domaines – juristes, scientifiques, experts financiers, innovateurs, etc.

Grâce à sa longue tradition de collaboration interdisciplinaire, la Suisse est devenue l'un des premiers pays à offrir un cadre juridique et réglementaire solide pour les cryptomonnaies et les actifs numériques et, sous la direction de la Banque nationale suisse et du centre suisse du Pôle d'Innovation de la BRI, à tester en direct une monnaie numérique de banque centrale de gros. Ces initiatives pionnières sont le fruit d'une étroite collaboration interinstitutionnelle et interdisciplinaire. Elles démontrent également l'intérêt pour les institutions publiques nationales et internationales de travailler avec les innovateurs du secteur privé pour créer un système financier plus efficace.

Conclusion

Pour conclure, je suis particulièrement fière – également au nom de mes co-récipiendaires Jacques Bujard, John Doherty et Pierre Tercier – de recevoir le titre de Docteur Honoris Causa de l'Université de Neuchâtel. Aujourd'hui, il récompense quatre personnes dans quatre domaines très différents, ce qui souligne l'importance de chaque contribution : un conservateur cantonal et archéologue ; un professeur émérite, hydrogéologue ; un professeur émérite en droit civil, droit commercial, et droit des obligations ; et une économiste. Faire partie de ce prestigieux quartet interdisciplinaire de récipiendaires me fait particulièrement plaisir.

Mon prochain rêve? - Continuer de poser ensemble d'avantage de pièces au puzzle complexe du monde réel et contribuer ainsi à créer un nouveau patrimoine pour les générations futures. Cet avenir meilleur exige que nous travaillions tous ensemble, que nous collaborions et coopérions, que nous construisions des ponts entre les disciplines, entre les universités et nos institutions politiques et ce, au-delà de nos frontières, cantonales ou nationales.

Je vous remercie pour votre attention.